Its easier be with you. as long as we are together there is no place I rather be.
« Où tu vas comme ça ? » Il la dévisageait à la fois surpris et affolé. Thalia portait la tenue de serveuse de ce fast-food qu’il fréquentait régulièrement. Le décor était marqué par le mauvais goût des années soixante-dix, les serveuses portaient des shorty doré trop moulant (quand il s’agissait de sa sœur) et un haut à peine apparent sur lequel était posé un tablier rayé rouge et or qui cachait à peine toute cette peau nu dehors. Thalia lui adressa un fin sourire, il savait bien ce que ce déguisement signifiait :
« Hors de question ! » s’exclamait t-il comme offensé par la démarche de sa sœurette. Il s’était levé d’un bon du fauteuil sur lequel trônait son postérieur depuis plus d’une heure, fauteuil qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis le décès de leur père,
« Je ne te demande pas ton avis. Je ne vais pas rester là à te laisser tout endosser seul. » Le regard glaçant qu’elle lui avait lancé l’avait stoppé dans son élan pour la retenir,
« Bonne soirée ». Elle n’avait pas attendu sa réponse et s’était emparée de ses affaires pour enfin partir travailler. Son premier soir lui procurait une angoisse qu’elle ne connaissait pas encore. Contre tout ce en quoi elle croyait, Thalia avait accepté d’être embauchée pour ses
belles gambettes et ses
yeux ensorceleurs . Même s’ils avaient récupéré pas mal d’argent de l’assurance de leur père, ils avaient décidé de tout mettre de côté et de gagner par eux-mêmes l’argent qui leur servait à vivre au quotidien. Martin travaillait dans un garage en centre-ville et rendait quelques services supplémentaires (probablement peu légaux) de part et d’autres.
Ce soir c’était donc son premier service, le lieu était plein de monde, un rush interminable mais duquel elle avait réussi à survivre. Les autres filles s’étaient montrées adorables avec elle et de grâce à ça, elle s’était sentie en sécurité. Mais il avait été très dur pour elle de supporter les insinuations douteuses, les discrètes caresses et les gestes plus directs. Il faut dire qu’elle avait dû mentir sur son âge pour pouvoir travailler et par chance, le patron n’était pas très regardant.
Son service arrivait bientôt à son terme lorsqu’un groupe de jeunes entra dans le restaurant. Sidonie lui fit signe d’aller les installer pendant qu’elle s’occuper de laver la tonne de verres qui était empilée au comptoir. En s’approchant, Thalia reconnu certains d’entre eux qui allaient dans le même lycée qu’elle. Ce qui aurait pu être amusant si elle les appréciait, se révéla être un enfer. Elle ne pouvait pas faire demi-tour et risquer de perdre son travail après un seul service, alors, elle s’avança vers eux pour prendre leurs commandes sans jamais lever les yeux.
« Cinq Burger West Side » Elle avait le nez baissé sur son bloc note priant pour ne pas être reconnue.
« En menu ? » avait-elle demandé en changeant un peu le ton de sa voix,
« A ton avis ? » La fille qui s’adressait à elle n’avait pas mis bien longtemps avant de flairer son angoisse et de s’en servir pour l’humilier. Comme avec les autres clients Thalia prit sur elle et fit en sorte de sourire vaguement mais surtout, elle ne répondait pas à ces provocations. Ni par les mots, ni par les gestes. Elle fit demi-tour, prête à aller faire passer leurs commandes et à préparer les plateaux quand soudain,
« Thalia ? » elle se pinça les lèvres et accéléra le pas pensant décourager celui qui allait la griller. Une main l’agrippa alors, l’obligeant à s’arrêter et à se retourner,
« Thalia ? » Ses yeux étaient cachés sous sa casquette, ses mains tenaient fermement le bloc note et elle lui dit tout bas,
« Tais-toi. » Malheureusement il était déjà trop tard.
« Oh mon dieu ! Mais c’est la sœur de Martin ! La pauvre … c’est bien triste d’en arriver là quand même. » « Ça me fait surtout pitié » Ces remarques étaient pleines de cynisme et Thalia se sentait prisonnière, elle ne pouvait même pas rétorquer. Quand elle allait en cours, c’était la même chose mais elle se sentait libre de se défendre comme elle le voulait (et dieu sait qu’elle le faisait). Elle leva la tête vers la personne à qui elle devait tout ça,
« Bien joué Elias. » et sans lui laisser le temps de s’excuser ou d’essayer de se rattraper, elle alla faire suivre leurs commandes et préparer les plateaux. Pour elle ce n’était pas facile, elle vivait le même enfer au lycée, la seule différence résidait dans le fait qu’elle pouvait se défendre là-bas et qu’elle n’hésitait pas à le faire.
« Fermez-là ! » Celui qui l’avait mise dans l’embarras tentait à présent de l’en sortir mais c’était bien trop tard. Elle essayait d’ignorer les remarques qu’ils criaient presque pour qu’elle puisse bien entendre et le fait que des photos d’elle dans cette tenue devaient déjà parsemer les pages facebook. Elle leur servit leurs menus sans broncher, serrant les dents dans sa bouche soigneusement fermée et ne prêtant pas attention à leurs plaintes à peine plausible. Évidemment ils s’étaient éternisés pour mieux la torturer et même après les avoir encaissés, Thalia devait encore attendre leur départ pour être enfin libre. C’était un risque qu’elle avait pris en venant travailler dans cet endroit, c’était un vrai lieu de culte pour toute la jeunesse de Providence alors même sans avoir pensé devenir une attraction, elle aurait dû se douter que passer inaperçu était proscrit.
Son service se termina beaucoup plus tard que prévu, elle sortit en laissant son tablier sur le comptoir, complétement vidée d’énergie et prête à appeler Martin pour qu’il vienne la chercher. Mais lorsqu’elle se retrouva devant l’établissement, laissant Sidonie en fermer les portes, elle reconnut la silhouette d’Elias dans l’ombre, sa cigarette fumante entre ses doigts.
« Tu n’es pas rentré avec tes amis ? » Il fit un signe négatif de la tête, écrasant finalement la cigarette contre le mur derrière lui et se libérant du mégot au sol.
« Je voulais m’excuser, pour tout à l’heure. » « Ça aurait pu attendre demain. » Alors qu’elle aurait aimé être sèche avec lui, elle en était incapable,
« Non je ne pense pas. » Elle lui accorda un sourire, un vrai cette fois,
« Tu me ramènes ? » La proposition ne suggérait pas une réponse négative, ils s’embarquèrent alors sur sa moto laissant derrière eux cette terrible soirée.
Ils ne se parlaient pas depuis longtemps, elle avait été désigné par Madame Florange, professeur de littérature latine, pour l’aider à obtenir cette bourse qu’il convoitait tant. Sportif de haut niveau, il aurait pu se contenter de battre des records pour aller dans l’université de son choix (nombreux étaient les recruteurs l’ayant déjà contactés) mais il ne rêvait pas d’une carrière sportive. Thalia faisait quant à elle partie de ces adolescents brillants et pleins de promesses qui obtiendraient certainement leur bourse grâce notamment au soutient de leurs professeurs. Il n’y avait eu entre eux que de l’indifférence jusqu’à maintenant, une immense mais neutre indifférence. Tandis qu’il était l’une de ces figures adulées, elle était la cible de nombreuses moqueries dût notamment à son poids plume ainsi qu’à ses problèmes d’argent. La réputation de trouble-fête de son frère ne l’aider pas non plus, mais elle encaissait sans peine et se servait de son naturel bagarreur de temps à autre étonnant à chaque fois le plus grand nombre. Sa relation nouvelle avec Elias n’avait fait qu’amplifié cette attention sur elle parce qu’il ne la traitait pas comme les autres et qu’elle était passée de la ratée de service à une véritable menace pour toutes les pimbêches qui se respectent.